De la fascination à la répulsion, où se cachent les monstres?

Après l’exposition éphémère A Corps Queer qui mettait en exergue les questions du corps, du genre et de sa performativité dans une perspective queer, l’association Art Contre Courant revient avec un nouvel évènement ce mois de janvier : Où se cachent les monstres ?

 

L’association artistique Art Contre Courant est née en 2016 sous l’impulsion de Lucie Camoux et de sa volonté d’exposer des pratiques artistiques questionnant les thématiques du corps, de l’histoire et plus particulièrement du genre et des identités. A travers les événements qu’elles orchestrent, la jeune femme cherche à amener son public à requestionner les codes de la société dont il fait partie.

 

26942831_10156627984764879_1550906045_n

Lucie Camoux fondatrice d’Art Contre Courant

 

Du 16 au 28 janvier se tiendra l’exposition « Où se cachent les monstres? » au 59 rue Rivoli à Paris. Un programme riche de sept artistes qui traduiront à travers leurs œuvres  l’exacerbation de nos fantasmes face aux transformations des corps et des peurs qu’elles  engendrent.

La monstruosité se manifeste dans la différence et la menace, en deçà des normes établies. Le corps devient alors objet déréglé, indiscipliné, défendu. Le monstre est celui qui est désigné du doigt, qui est montré. Notre regard oscille entre fascination et répulsion. Si la monstruosité permet de montrer quelque chose, elle sert également à « enseigner la norme ». Impossible en effet de saisir  directement les frontières de cette dernière, perçue comme moyenne ou idéal. Elle ne peut être révélée que par la monstration de son contraire. 

Nous nous sommes efforcé.e.s de  repousser le monstre, en dehors de nos corps, de nos sociétés, aux confins de l’humanité. Nous avons tenté de l’éliminer. Il en a trouvé que plus refuge en nous.

« C’est en tant que corps que le monstre nous touche, dans sa trop grande proximité avec ce qui nous habite presque à notre insu. L’ombre du corps monstrueux ne vient jamais que de l’œil du spectateur, qui refuse de voir jusqu’au bout sa propre obscurité intérieure.  » – Georges Canguilhem

« Où se cachent les monstres? » ne s’attarde pas seulement aux entités physiques mais aussi à ces imaginaires, ces figures intérieures qui sommeillent en nous. Paradoxalement, à l’instar des peurs, les monstres intérieurs prennent naissance de nos obsessions et les alimentent en retour.

 

Vous trouverez ci-dessous le dossier de presse avec la présentation des artistes.

 

Cornelia Eichhorn

Cornelia Eichhorn mène une œuvre dans laquelle elle analyse l’humain au travers du prisme du groupe et des rivalités qui s’en dégagent et présente à l’occasion de l’exposition deux séries de dessins.

Elle commence par réaliser individuellement chaque portrait, un féminin et trois masculins, puis les fragmente pour enfin les réassembler à nouveau. Si ces portraits aux couleurs vives semblent de loin inoffensifs, cette impression s’arrête net quand, de près, leurs détails faits de stigmates, d’excroissances et autres furoncles surgissent devant nos yeux. Modifiés, altérés, transposés d’un vivant à l’autre ces visages superlatifs portent sur eux l’ambiguïté de nos identités morales et charnelles. Ils évoquent, pour l’artiste, les complexités identitaires de définition de soi et des autres au sein d’une société attachée à une esthétique codifiée des corps. Apparaissent alors, par le biais de ces hybridations organiques, de vastes paysages mentaux où les corps monstrueux prennent le pouvoir et révèlent ce qui pourraient être nos monstres intérieurs.

Balance-à-peser apaisée #2 (série de 3 dessins), 2014 ©Cornelia Eichhorn
Balance-à-peser apaisée #2 (série de 3 dessins), 2014 ©Cornelia Eichhorn

 

Sorry we are closed, met en scène, au cœur de cadres velus, des corps sans issue. Incapable de respirer et de communiquer, ils suffoquent. Repliant membres et peaux de sorte à obstruer chaque orifice Cornelia Eichhorn met en lumière, dans cette seconde série de dessins, nos maladresses et difficultés à entrer en contact avec les autres en dévoilant des corps métaphores de nos incapacités à s’intégrer.

 

Les Décomposés #1, 2016 ©Cornelia Eichhorn
Les Décomposés #1, 2016 ©Cornelia Eichhorn

Anya Belyat Giunta

La fin de l’ère soviétique et ses tumultes politiques contraignent la famille d’Anya Belyat Giunta à l’exil lors de son enfance. De l’Autriche aux Etats-Unis en passant par l’Italie, l’obsession du dessin l’accompagne et ses études d’arts plastiques, sont elles aussi faites de pérégrinations à Florence, Minneapolis et Toulouse. Nombre de ses oeuvres se trouvent aujourd’hui dans des collections publiques comme privées et elle travaille notamment avec la galerie Céline Moine à Lyon. Elle mène, depuis 2007, un travail en série sur d’anciennes cartes perforées. Ces supports, utilisés au début de l’ère informatique étaient les premiers systèmes d’enregistrement d’informations de masse. Sur ces vestiges d’un temps révolu voués à disparaître des êtres à l’érotisme ambigu et aux genres indéfinissables, déréglés ou instables se développent.

Tantôt agressifs et impudiques, prêts à s’ouvrir tout entier devant nous, tantôt vulnérables et incertains, les individus énigmatiques d’Anya Belyat Giunta se jouent de nous en poussant corps et identités dans leurs derniers retranchements.

Invisible worlds - 2012

Lou Roy

Constituées de multiple médiums la pratique artistique de Lou Roy s’articule entre dessin, photographie et tissage textile, tous liés par l’artiste à une réflexion sur les limites animales de l’Humain.

Lou Roy présente une installation faite de poils d’humains et d’animaux agglomérés. Matériaux vivants, ils portent en eux une forte charge intime en conservant, même une fois coupés, l’ADN de l’individu. Cheveux et toisons renvoient l’homme à son animalité, à un état de nature que nos sociétés contemporaines nous engagent à contrôler, à maîtriser. L’artiste utilise ce rejet du poil présent dans l’inconscient collectif afin d’interroger le rapport de l’individu à sa bestialité.

 

 

Visages , dentelle aux fuseaux, 2016 2

Visages , dentelle aux fuseaux, 2016 © Lou Roy

 

Les dessins présentés, issus de la série Fragments évoquent quant à eux la mémoire immémoriale des corps. L’artiste présente, côte à côte, un fragment d’os animal issu de fouilles archéologiques et celui d’un être humain moderne. Pourtant, sommes-nous capables de les différencier ? S’il est de notoriété publique que l’Homme, dans sa réalité biologique n’est autre qu’un mammifère issu d’une longue évolution, sa nature sauvage tend à être oubliée.

Fragments, Série de 9 dessins au stylo à bille, 21 x 29,7 cm
Fragments, Série de 9 dessins au stylo à bille, 21 x 29,7 cm © Lou Roy

 

L’animal, considéré comme un bien de consommation dans notre société contemporaine est pourtant bien proche de nous. L’artiste, à travers ses fragments surdimensionnés, nous renvoie à cette analogie et tente de nous connecter à nos lointaines racines. De l’animal archaïque à nos corps contemporains, ce ne sont toujours que nos carcasses qui subsistent.

Maux, Photographie numérique, travail en cours 2017
Maux, Photographie numérique, travail en cours 2017 © Lou Roy

« Dans mon travail plastique je cherche à retranscrire la fragilité du corps et la vulnérabilité de la vie animale. Ma production prend son essor à travers divers médiums me permettant d’osciller entre répulsion et attraction, douceur et violence. La dépouille (photographiée, ou reconstituée) me permet d’évoquer une enveloppe vide comme la manifestation d’un passage. Elle agit ainsi comme le témoin de la présence d’une altérité. » – Lou Roy

La série Membrane est constituée de pièces de dentelle en volume. Elles évoquent une peau, une membrane d’un corps, d’un animal. La veine devient artère, les fils circulent et s’entremêlent pour constituer des fibres musculaires. Il s’agit d’un fragment d’organisme qui serait le reste d’un passage, d’une mue. Ce sont les notions d’interne et d’externe qui s’entrecroisent dans cette série.

 

Gisèle Bonin

Gisèle Bonin dessine, au plus près de la matière et ce dès ses débuts lors de sa formation aux Beaux-Arts d’Angers.

En parallèle de son travail artistique elle enseigne actuellement les arts graphiques dans plusieurs écoles d’arts. Les dessins de Gisèle Bonin, bien plus que par le corps, sont tout entiers occupés par la représentation de l’épiderme. A la fois organe et enveloppe, la peau est une interface entre le monde extérieur et nous-même. Elle est pour l’artiste “un territoire de mémoire et de sensation”. Cette frontière, impossible à saisir dans les dessins de Gisèle Bonin, provoque une certaine hésitation du regard.

© Gisele Bonin

Les formes, énigmatiques, ne semblent rattachées à aucun individu en particulier, elles flottent, en existant par et pour elles-mêmes. Sans autre indice que les grains de peau et de papier, ces parcelles de corps, misent à distance, laissent apparaître des visions inquiétantes.

Klervi Bourseul

Le travail de Klervi Bourseul, intimement lié à la littérature et la poésie l’amène à participer à plusieurs éditions, notamment avec Bruno Geneste et Armand Dupuy. Artiste mais aussi commissaire d’exposition, elle organise de nombreuses manifestations en France et à l’étranger pour le collectif artistique Körper dont elle fait partie.

 

Sale chien, 2010 et Série des curiosités, 2012 –  crédit Klervi Bourseul

 

Klervi Bourseul développe un univers onirique où se côtoient créatures hybrides et formes énigmatiques. Dans des paysages qui oscillent entre naturel et surnaturel, ils invitent à une plongée en pays étrangers. Au coeur de ces contrées, c’est le corps de l’artiste qui s’invite par l’évidence de sa gestuelle. Les sujets représentés, secoués d’étranges agitations, nous parlent et nous échappent à la fois. Klervi Bourseul se fait fil conducteur entre mouvements de l’être intérieur et métamorphoses des corps.