INTERVIEWPHEW, l’artiste avant-gardiste punk au Sonic Protest Festival

credit : James Hadfield

 

Nous avons rencontré Nagashima Hiromi, alias Phew, lors de sa venue au festival Sonic Protest à Paris. Sa performance le 14 mars dernier au Théâtre de Vanves a été pour nous une expérience sensorielle, évasive, comme on vit foncièrement peu dans sa vie.

Perchées au dernier étage du Centre Pompidou, nous commandons un verre d’eau citronnée. Beaucoup de sérénité émane de cette artiste japonaise. Flegmatique, critique, inspirante sur de nombreux points, elle a réussi à piquer notre curiosité. Sa carrière musicale approche aujourd’hui les 40 ans ; mais Phew se fut d’abord cette pionnière du courant punk au Japon à la fin des années 1970. Elle nous a parlé de sa vie d’artistE, de sa vie de femme et du Japon, qu’elle n’a jamais vraiment gardé au creux de son cœur. Rencontre.

 

 

Quelle est l’origine de l’appellation « Phew » ? 

Je n’ai pas choisi ce nom. Quand j’étais adolescente, j’avais un groupe de musique et le guitariste disait qu’il y avait quelque chose de volatile qui émanait de moi. Il a choisi le nom Phew qui sans doute exprime un peu le son du vent. C’est comme ça que s’est arrivé, je n’ai pas vraiment choisi mon nom.

 

Ça signifiait quoi être punk au Japon dans les années 1980? C’est à ce moment-là que vous avez commencé à jouer avec le groupe Aunt Sally.

 

Le punk n’était pas une grande industrie au Japon, il y avait juste quelques artistes. Quand je faisais des concerts, il n’y avait que 20 ou 30 personnes qui venaient ; dans les meilleurs moments, une centaine de personnes venaient m’écouter. C’est là que réside la grande différence avec l’Europe, ou l’Amérique où vous aviez par exemple les Sex Pistols. C’était peut-être plus commercial et il y avait beaucoup de monde qui en écoutait. Je pense que j’ai quand même eu un certain impact, j’ai fait des cd… Il y avait une petite scène, mais je ne peux pas dire que c’était un mouvement.

Mais je pense qu’on a eu une influence sur le genre… Au Japon, les groupes de musiques féminins avaient toujours un côté sexy girl, elles ressemblaient plus à des idoles. Le genre de filles qui apparaît sous le « girl style », un peu le genre de femmes qui essaient d’attirer les hommes. Je crois qu’on était le premier groupe mis en place par des femmes, qui n’avait pas pour intention de faire quelque chose de sexy, apparaître comme tel devant le public. Nous ne pensions pas vraiment à ce que pouvaient penser les hommes de nous. C’est plus important encore que d’être un groupe punk dans un pays conservateur, être une femme qui n’essaie pas d’attirer les hommes.

 

 

Votre carrière approche les 40 ans. Vous avez traversé de nombreux courants musicaux, tels que le post-punk, le jazz avant-gardiste… Comment vous définissez-vous en tant qu’artistes aujourd’hui ? Est-ce votre approche de la musique a changé au fil des années ?

 
Je ne pense pas que mon approche de la musique ait changé tant que cela. Ces 40 années m’ont données une certaine liberté. Je ne me préoccupe pas de ce que peuvent penser les gens de ma musique. Je peux travailler sur mon expression artistique de la manière la plus pointue que je puisse, et c’est là pour moi le plus intéressant, c’est ici que je trouve le plus de satisfaction. Je me concentre sur mon travail et c’est ce que je garde de plus précieux de cette expérience.

 

 

Avez-vous rencontré des situations difficiles dans la musique du fait que vous êtes une femme ? Est-ce que vous avez déjà eu le sentiment d’être restreinte ?

 
Après que nous ayons arrêté de jouer avec Aunt Sally, j’ai vendu beaucoup d’album. A cette époque, les médias ont fait plusieurs articles à mon sujet, ont fait ma promotion et parlait de moi en tant que « jeune fille ». J’étais choquée, je n’aimais pas l’idée d’être présentée comme une « jeune fille ». C’est là que j’ai senti qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. J’essayais d’être une artiste, pas seulement une femme. Je pense que j’étais en quelque sorte assez brutale comme artiste au sens où j’essayais de trouver quelque chose qui ferait que je serai comprise. Et c’est quelque chose que j’ai perdu, et ce n’est pas si mal d’ailleurs. Ça m’a pris 3 ans de me libérer de ce que les autres pouvaient penser de moi, et maintenant je suis en paix avec moi-même.

 

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Quelle est votre place dans un festival de musique expérimentale tel que le Sonic Protest ? Dans quelle mesure vous sentez-vous proche de ce genre d’événement ? Quelle est la valeur ajoutée de ce type de festival selon vous ?

 
Je suis très contente d’être invitée dans ce genre d’événement non commercial et je crois que c’est quelque chose de très difficile, de continuer à produire ce genre d’événement. C’est pour cela que je suis fière d’être ici et plus encore en France. Je suis heureuse de pouvoir parler avec des gens qui ont le même genre d’expérience de travail que moi et j’ai beaucoup de respect pour les gens qui peuvent réaliser de tels festivals. J’aimerais que ça puisse durer, et qu’il y ait d’autres événements dans ce genre dans les années à venir. Vous savez, j’ai toujours eu un esprit combatif qui aime la difficulté ; je me dis que c’est une démarche qui est sur la durée.

 

Performance de PHEW au Festival Sonic Protest 2017

 

Quels aspects de la société japonais vous aimeriez apporter en occident ?

 
Mes ami.e.s, mes bons ami.e.s! (rires) En ce qui concerne les animés, les affaires les amènent très bien. Je n’aime pas rester coincée dans les traditions japonaises. Si vous aimez le Japon, allez le chercher, mais pour ma part je ne vous en ramènerai rien.

 

Vraiment ? Pourquoi ?

 
D’un point de vue global, je pense que mon pays est terrible. Vous savez, après les tsunamis, l’accident de Fukushima en 2011, on ne peut qu’admettre que ce les règles de notre pays sont horribles et nous en souffrons toujours. Alors bien sûr, j’ai des ami.e.s au Japon, j’aime sa gastronomie, j’ai eu de belles expériences là-bas, mais je ne pense pas que cela doit être marqué comme japonais. C’est le genre de désespoir que notre pays nous amène à l’esprit, c’est ce que je pense.

 

Où aimeriez-vous être alors ?

 
Je choisirai n’importe quel autre endroit en dehors de Tokyo. Je n’aime pas l’idée qu’ils veuillent accueillir les Jeux Olympiques de 2020. Même les jeunes quittent la capitale parce qu’ils cherchent à avoir une vie paisible, je suis un peu pareille. Je pourrais dire que j’aime mon pays, mais les politiques mises en place font que si vous l’affirmez, le parti nationaliste va s’en servir comme d’un argument, à leur propre avantage. Si on dit le contraire, les autres partis vont aussi essayer d’utiliser vos mots à leur avantage. Donc on ne peut pas vraiment parler de la vie au Japon parce que les politiques essayent de diriger le pays à travers cela. Même si je devais dire que le Japon est un pays magnifique, ce n’est pas le moment de parler de cette façon.

 

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Y-a-t-il une artistE qui vous a inspiré, qui continue de vous inspirer ?

 
Il y avait des actrices et des chanteuses que j’adorais, mais je n’ai jamais vraiment essayé de connaître leur vie personnelle. Je me foutais de si elles étaient des symboles. J’aimais simplement ce qu’elles faisaient en tant qu’artistes, mais je ne crois pas qu’elles furent une source d’inspiration pour ma vie personnelle. Hélène Weigel fait partie des femmes que je respecte le plus, elle avait une voix magnifique.

 

Quels conseils donneriez-vous à une jeune artistE aujourd’hui ?

 
Les femmes japonaises sont considérées comme des outils qui doivent se concentrer sur la maternité. Elles ont peur de ça. Si je devais donner un conseil à une artistE en devenir, je lui dirai de ne pas se préoccuper de cela. Elle devrait juste se concentrer sur son travail et laisser les gens dire qu’elle doit avoir des enfants.

 

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Nagashima Hiromi, quel genre d’enfant étiez-vous ? J’ai lu dans un article que vous aviez toujours eu un point de vue différent sur le monde qui vous entourait. Par exemple, lorsque votre professeur d’école racontait une blague, tout le monde riait dans la classe, mais pas vous.

 
J’ai été élevé dans un environnement spécial, j’étais toujours entourée de femmes : que ce soit au sein de ma famille, à l’école… Je n’avais pas vraiment de contact avec les garçons, donc je ne vois pas dans quelle mesure j’aurais pu être quelqu’un de si spécial. Je dois admettre que je me suis jamais vraiment senti… En fait, je ne riais pas aux même blagues que les autres. Ça montre peut-être que j’étais quelqu’un d’un peu différent. Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose de spécial à propos du Japon, du fait que je sois japonaise ou quoique ce soit. Je pense juste que, je ne m’intéressais pas à ce qui intéressait les autres à cette époque. En venant en France, j’ai regardé dans l’avion le film La La Land et, j’ai trouvé ça horrible. Sur ce point j’admets que je ne m’intéresse pas aux mêmes choses que les autres ! (rires)

 

Quel est le sens de la vie selon vous ?

 
Est-ce que la vie a un sens ? Pour moi, eh bien… Aussi longtemps que je vis, je peux avoir de l’espoir, ne pas mourir c’est garder espoir. J’ai eu des enfants et quand ils sont né.e.s j’étais remplie d’émotions ; mais maintenant que mes enfants sont grands, je ne m’en préoccupe plus vraiment (rire). Ce que vous pouvez expérimenter dépend de ce que vous ressentez. Aussi longtemps qu’on vit, on peut traverser différentes, et surtout d’autres émotions, et c’est ce genre d’espoir dont je parle.

 

Citez-moi un endroit que vous considérez comme paradis sur Terre.

 

Profond dans mon esprit. (rires)

 

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credit : Magouka

 

(interview traduite du japonais)