Rencontre avec Xarah Dion : la minimal wave de Montréal aux envolées lyriques

Loin de son froid natal, c’est autour d’une tasse de thé que nous avons rencontré Xarah Dion. Musicienne, compositrice, chanteuse, cette artiste est une active player de la scène underground et indépendante Montréalaise. Depuis 5 ans, elle entame une carrière individuelle qui l’amène à se produire sur le vieux continent à quatre reprises. En 2015, elle effectue la première partie de la tournée européenne du groupe post-rock canadien Godspeed You! Black Emperor.

Dans son deuxième album Fugitive – sorti en septembre dernier chez le label Visage Musique – la compositrice nous offre de la minimal wave aux notes fantasmagoriques. Oscillant entre mélancolie et mysticité, Xarah Dion nous intrigue. Les synthé analogiques aux mélodies oniriques nous transportent dans un univers aussi triste que dansant. A travers une prose recherchée bien que souvent masquée par la musique, la québécoise capture avec adresse l’élégance de la poésie.

Sa tournée touchant à sa fin, nous avons profité de son passage en France pour lui poser quelques questions.

 

Comment as-tu commencé à faire de la musique ?

Bah en fait, j’ai toujours été passionnée de musique depuis mon plus jeune âge. Et vers l’âge de 9 ans j’ai commencé à prendre des leçons de piano, que j’ai cessées pendant mon adolescence. Je voulais jouer moi-même. Donc j’apprenais les morceaux des groupes que j’aimais : Nirvana, Radiohead, Genesis. Je jouais quand même de la musique classique mais c’était moins centrale. J’avais envie de faire de la résolution d’accords et aussi de jouer mes propres morceaux, faire des improvisations, faire des arrangements. Pis c’est à la fin de mon école secondaire, quand j’étais au cégep [à cheval entre la dernière année du lycée et la première année d’études supérieures] que j’ai fait « Concentration musique ». C’est là que j’ai commencé mes propres groupes.

Les Momies de Palermes [duo avec Marie Davidson, actuelle Essaie pas] ?

En fait ça c’est arrivé beaucoup plus tard, c’est arrivé quand j’ai déménagé à Montréal à l’âge de 20 ans je crois. Je suis née en Alberta mais mes parents étaient originaires de Montréal. Donc je suis née là-bas mais j’ai grandi à Montréal jusqu’à l’âge de 8 ans, puis j’ai fait une partie de mes études à Québec et le retour à Montréal pour justement faire carrière en musique. J’ai fait plusieurs groupes, j’ai joué avec des douzaines de personnes différentes : des projets éphémères, des projets de plus longs termes, des projets dont j’étais pas la compositrice, donc c’était des vrais groupes. J’ai eu deux groupes de longue durée qui répétaient à La Brique qui est un espace de création connu dans lequel il y avait un collectif qui évoluait dont le groupe les Momies de Palermes et Léopard et moi, aux influences différentes. Le premier c’était plus électro expérimentale, Léopard et moi c’était plus avant rock, donc c’était pas nécessairement les synthés, je jouais aussi de la batterie, de la guitare, de la clarinette.

 Quand j’étais plus jeune j’avais une relation très intime avec la musique, j’avais beaucoup de difficulté à partager ça avec d’autres gens.

La musique a toujours été ta vocation ? Ou quand t’étais petite tu te disais, j’ai envie de faire de la musique mais à côté j’ai envie de faire autre chose, un métier en dehors du domaine artistique ?

Oui. En fait, la musique a toujours été au cœur de mes préoccupations mais oui, j’ai déjà eu d’autres idées de carrières. Au début de mes études secondaires je pensais faire des sciences, je m’intéressais beaucoup à l’astrophysique entre autres. Mais avec le temps la musique c’est vraiment devenu central, les arts aussi, une perspective plus introspective. J’avais quand même de la facilité dans mes études, et justement j’ai un peu négligé mes études pour faire mes propres avancées. J’avais pas besoin de m’y consacrer à temps plein pour bien… C’est un peu ça qui s’est passé pendant l’adolescence.

Je trouve que tes textes, et encore plus quand on les lit sans fond sonore, ressemblent vraiment à des poèmes.

Je travaille mes textes un peu à la manière de la prose oui. Je m’intéresse beaucoup à la poésie aussi depuis que je suis très jeune. Et c’est important pour moi que mes textes aillent au-delà de juste une succession de rimes ou d’images. Je mets beaucoup d’effort pour que mes textes soient en écho d’une certaine façon avec des traditions lyriques.

Est-ce que t’as un souvenir par exemple de tes parents qui te faisaient écouter un artiste boucle à la maison ?

Ah bah ça plusieurs. Mes parents eux même sont mélomanes, dont ils m’ont transmis cette passion. Si je peux en nommer quelques-uns qui m’ont vraiment marqué y’a eu les Dead Can Dance qui avaient un son vraiment différent, ils ont signé sur le label 4AD. Donc plus dans le post punk, des musiques pop mais expérimentales. Y’a eu de la musique rétro qui m’a beaucoup marquée aussi : The Doors, The Beatles et la musique classique qui occupait une grande place à la maison.

xarah-dion

Une artiste féminine qui t’a influencé, qui t’a donné envie de donner, partager, t’affirmer dans la musique ?

Oui bien sûr. A l’adolescence j’ai suivi le travail de Tori Amos. Je me suis beaucoup accrochée à ses musiques, à ses textes, à sa façon de s’exprimer, en tant qu’individu mais aussi en tant que femme. Elle avait une façon très personnelle de présenter ses émotions, son énergie primitive, sa sexualité sur scène. Ça m’avait beaucoup inspiré. Je dis pas que ça se retrouve nécessairement dans mon travail. C’est dur pour moi d’expliquer d’où vient le… Je pense qu’il y a comme une accumulation, une constellation d’influences autour de moi. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup nourri. Sinon dans les artistes contemporains j’ai découvert il y a 2-3 ans, Xeno et Oaklender, je les ai vues en live et c’est venu confirmer l’envie que j’avais de faire de la synthwave là, même si Le mal nécessaire était déjà enregistré. C’était pas encore clair quelle direction j’allais prendre par la suite. Je me suis tournée vers la synthèse analogique, inspiré de leur travail. C’est un duo formé de Martial Canterel et Liz Wendelbo.

Elle avait une façon très personnelle de présenter ses émotions, son énergie primitive, sa sexualité sur scène. Ça m’avait beaucoup inspiré. [Tori Amos]

D’où te vient ton inspiration pour tes clips ? Il y a un certain travail au niveau des symétries, des couleurs, c’est toi qui décides ça se passe comment ?

C’est plutôt le contraire en fait. Je laisse la ou le réalisateur du clip décider de la direction artistique. Des fois je peux suggérer des concepts, des idées mais c’est vraiment eux qui développent avec leur choix de médium aussi : pellicule, VHS, digitale ou infra-rouge. C’est important pour moi cette collaboration, parce que ça marque le temps et l’espace, au-delà de vouloir faire comme un film ou une mise en image de ma vision. Je dirai que le dernier clip qui a été réalisé par Philippe Léonard « Fugitive », c’est le clip qui reflète le plus la vision interne que j’avais, sans qu’on ait à discuter par storyboard là. Donc ça a vraiment été une belle rencontre.

 

Deux ans séparent tes 2 albums, comment t’as évolué, comment t’as vécu cette période ?

Il s’est passé beaucoup de choses. J’ai tourné 3 fois avec Le mal nécessaire, je m’y attendais pas. J’en suis à ma quatrième tournée là maintenant. Mes tournées m’ont beaucoup marqué, et marqué le temps aussi. L’année est divisée en deux. Sur mon travail, le milieu dans lequel j’évolue, ça m’a ouvert ma perspective sur la contemporanéité de la musique que je crée. Parce que auparavant j’étais dans l’écoute, la relecture, je restais sur place à Montréal. C’est pas pareil que de pouvoir voyager, et être exposée à des choses qui se passent simultanément dans le monde. Une chose qui m’a énormément marqué, mais de manière plus négative, c’est l’an dernier j’ai été cambriolé, on m’a volé mon ordinateur et mon disque dur qui contenait mon nouvel album Fugitive. J’ai dû le refaire de toutes pièces. J’ai été aidé par le label Visage musique. Bon le mastering s’est effectué en mai dernier, l’album sortait 4 mois plus tard donc j’ai vraiment été chanceuse de pas avoir plus de délais. Ce qui était très difficile et qui l’est toujours c’est de savoir qu’autant d’archives sont perdues.

Dans ton premier album tu parles de la loi de Thélème, tu peux m’en parler un peu ? C’est la loi de « fais ce que tu veux » non ?

Ouais. Bah en fait, je joue un peu sur le mot « thélème ». Parce que oui y’a Théléma  qui est un culte, qui a été créé par un dénommé Aleister Crowley qui avait écrit plusieurs textes, dont un qui contient la fameuse loi « fais ce que tu veux », en fait il a rédigé ce texte-là basé sur certains écrits de l’Egypte antique. Mais en fait il a nommé sa religion Thélèma d’après l’Abbaye de Thélème le récit de Rabelais. Ce texte ne m’est pas propre, je me suis servie d’un des textes d’un ami Ashton qui lui est plus dans le culte, la performance, que j’ai retravaillé pour cette chanson. Je pense que j’aime bien faire ça dans mes textes, je vais utiliser certains concepts mais je donne pas nécessairement de clefs pour moi-même ou pour l’auditeur, donc c’est à l’auditeur de choisir comment il fait sa lecture. Quand il y a des thèmes un peu plus mystiques ça reste ouvert, c’est des questions aussi que je me pose, donc je reste en dialogue avec ces systèmes de croyances là sans m’affilier directement. Je pense que c’est bien de rester sceptiques, curieuse de garder un œil critique même si on est intéressé par le culte.

Quels sont tes prochains projets que ce soit sur le plan pro ou perso ?

Je travaille sur un nouvel album, qui pour la première fois je vais allier synthèse analogique avec interface digitale, donc je vais avoir encore plus le contrôle sur mon son, je vais faire une exploration un peu plus techno sans pour autant faire de la techno à proprement parlé. Pas nécessairement dans le type de composition mais dans le comment composer. Parce que avec l’album précédent c’était carrément je me servais de mon interface audio pour enregistrer et pour mixer mais je faisais pas de création, tout se faisait avec le synthé analogique. Alors que maintenant je vais combiner les 2. Je vais développer de nouvelles compétences. J’ai commencé un peu, je pense que l’album sortira l’année prochaine en 2017, mais pas de dates pour le moment.

Est-ce que tu cherches à créer quelque chose chez ton public ? Quand tu écris, mais aussi quand t’es sur scène, t’as une visée particulière ? C’est plus ta vision à toi et le public qui suit ou…?

C’est une question intéressante. Je dirai que les deux sont très importants. Ma vision à moi et la vision du public. C’est certain que d’écrire de la musique dans un format pop, format chanson, c’est dans le but d’être reçu d’une certaine façon. Je pourrai composer de la musique électro acoustique, orchestrale. Là je m’adresse à un certain public. C’est très important pour moi d’explorer ma propre vision et le vrai dialogue se produit une fois que la musique est produite. C’est toujours un dialogue, oui ma vision est importante mais aussi matérialisée dans l’œuvre elle-même. Une fois que l’œuvre est écrite je constate que ça m’appartient plus entièrement, ça appartient aussi au public. Je pense que ma musique est reçue de manière différente, mais j’ai souvent comme écho qu’elle est reçue de manière introspective.

Un spot à Montréal que tu me conseillerais ?

La Casa del Popolo. J’y travaille en tant que barmaid et DJ. C’est un peu le centre de la scène alternative à Montréal. C’est un lieu où il y a un bar, un restau, une salle de concert et y’a deux autres salles de concert qui appartiennent au même établissement. Y’a des concerts tous les soirs, c’est beaucoup là où la musique underground évolue. De la coldwave mais aussi de la musique free jazz, indie rock, musique du monde. C’est LE lieu alternatif.

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